La menorah

LETTRES BREVES A L'EPOUSE

L A E 3

Vers la fin du pétrole pas cher ?

Tout le monde connaît la vision allégorique de la statue de Daniel. En une image le Seigneur résume l’histoire des civilisations qui donneront corps à la fin des temps à une civilisation s’appuyant sur l’héritage de l’antique Babylone. Si l’on reprend l’image d’un corps pour représenter notre civilisation occidentale moderne, le sang qui coule en lui et qui l’irrigue pour le maintenir en vie serait immanquablement le pétrole, car présent désormais dans tous les compartiments de notre vie occidentale. Quand est-il donc aujourd’hui de ce "sang" qui nous nourrit (agriculture intensive), nous donne l’énergie pour nous déplacer (le transport) ou nous permet simplement de vivre (industrie, chauffage) ? Coulera t’il toujours avec autant d’abondance et de force ?
A partir de quand la production mondiale de pétrole va-t-elle commencer à baisser ? Si certains se veulent optimistes, nombre d’experts considèrent pourtant que le processus est déjà enclenché ou sur le point de l’être, à très court terme. Et les conséquences risquent d’en être telles que l’on va jusqu’à parler de bouleversements, voire de la fin de notre civilisation. Le point sur la question dans cette lettre.

Vers le pic de production ? La production de pétrole au cours du temps peut être représentée par une courbe. Cette courbe commence à zéro quand l'exploitation du gisement commence, et finit également à zéro lorsque le gisement est totalement épuisé. Entre ces deux moments, la production passe nécessairement par un maximum qui coïncide à peu près au moment où la moitié du pétrole a été extrait. Une fois le pic passé, la production ne peut que décroître. En outre, le pétrole restant est considérablement plus difficile à extraire et est donc plus cher. Il faut également noter que la production de pétrole n'est pas uniquement une question d’argent mais aussi d’énergie. En effet, le pompage et les diverses opérations mécaniques effectuées consomment de l'énergie. Quand le gisement s’épuise, il faut en dépenser de plus en plus pour extraire des quantités toujours décroissantes de pétrole. À la fin, on peut atteindre un point où l’énergie nécessaire pour extraire un litre de pétrole dépasse celle contenue dans ce même litre. Le gisement n’est alors plus une source mais un puits d'énergie et son exploitation pour le pétrole-énergie n'est plus rentable. Ce phénomène est général et se vérifie pour toutes les zones de production. Ainsi en 1956, le géologue King Hubbert avait prédit la diminution de la production étatsunienne de brut à partir de 1970. Ce qui s’est produit.

Le pic de production a déjà été dépassé dans de nombreux pays producteurs, tels que la Libye (1970), l’Iran (1976), l’URSS (1987), le Royaume-Uni (2000) et la Norvège (2000). Au total, une soixantaine de pays auraient déjà dépassé leur pic. Naturellement, si l’on considère la production mondiale de pétrole, il est évident que le même phénomène est à l’œuvre. La seule inconnue est la date à laquelle ce pic surviendra avec précision. Il y a bien sûr encore du pétrole, mais on arrive sur une limite. Beaucoup d'experts pensent qu'il ne reste pas plus de pétrole que nous n'en avons déjà consommé, soit 1000 milliards de barils. Cela fait au total 2000 milliards de barils. Ce qui est stupéfiant, c'est que ces chiffres étaient déjà connus il y a 35 ans. La planète est maintenant bien mieux connue sur le plan géologique, les progrès technologiques ont été fulgurants, et l'estimation de ces réserves, appelées réserves ultimes, n'a pas varié ! Il n'y a pas eu de grande découverte depuis plus d'un quart de siècle. De plus, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le pétrole restant est plus difficile à extraire, de moins bonne qualité et considérablement plus coûteux que celui déjà extrait. Si vous pressez une éponge, le liquide coule d'abord abondamment facilement tandis que les dernières gouttes demandent un effort considérable. Tout le pétrole facile à découvrir et à exploiter l'a déjà été. Il reste les zones difficiles d'accès ou dangereuses pour des raisons géopolitiques ou climatiques. Par exemple, parmi les dernières régions à explorer sont les zones polaires où les conditions sont, comme on l'imagine, terribles. L'autre dernière frontière est le off-shore profond et on comprend aisément que forer à des milliers de mètres sous l'eau nécessite plus de moyens et d'énergie que de creuser un trou dans le sable et de voir jaillir le pétrole. Cette notion d'énergie nécessaire est capitale. Il faut bien comprendre que le jour se rapproche où il faudra plus d'énergie pour extraire le pétrole que celui-ci ne peut en fournir. A ce moment-là, c'est simple, le pétrole restera dans le sol.

Contrairement à leur promesse faite en mai 2004, les pays de l'OPEP ne sont pas parvenus à augmenter leur production, et l'ensemble des infrastructures pétrolières (de la production au raffinage) ont atteint un seuil maximal d'activité. Cela signifie qu'il est impossible de produire et de transformer plus de pétrole en 2005 qu'en 2004, d'autant plus que les investissements prévus en 2005 sont nettement inférieurs à ceux faits en 2004, essentiellement pour maintenir la production du brut. Cela semble confirmer que l'on a bien atteint un plafond de la production de pétrole et confirmerait l'imminence du pic pétrolier. Le pic signifie qu'à partir d’un moment donné, quelques soient nos besoins et nos efforts, la production diminuera inéluctablement, peut-être même de façon très brutale. Or notre société industrielle, notre civilisation même repose sur la notion de croissance. Or, depuis 150 ans, le pétrole est le moteur de plus en plus indispensable de cette croissance. Le pic produira un bouleversement total auquel nous ne sommes absolument pas préparés. Les plus pessimistes pensent que le pic se produit en ce moment. Mais il faut savoir que, même s'il ne se survient que dans 10 ans, nous ne disposons pas de tout ce temps. Les ennuis graves surviendront bien avant, dès que l'offre ne répondra plus à la demande, et c'est sans doute pour très bientôt.

La fin du Pétrole pas cher. Le monde que nous connaissons est appelé à connaître dans un futur très proche des changements radicaux. Notre civilisation est sur le point d'affronter la plus grande crise économique qu'elle ait jamais connue. Le prix des énergies devrait beaucoup augmenter, compte tenu de la demande croissante, surtout émanent de pays comme la Chine et l’Inde. La conversion des infrastructures énergétiques est un processus long, de plusieurs dizaines d'années, les solutions technologiques de remplacement existent, mais il est probable que le retard qui est pris dans la mise en place de ces alternatives génère un choc d’autant plus violent que la prise de conscience de l’impact économique sera tardive. Des pans entiers de notre économie vont être ébranlés.

Le transport, le chauffage, l’industrie vont être profondément affectés par la brusque augmentation du prix du baril de brut et même l’agriculture. Bien que ce secteur ne semble que peu concerné par un renchérissement fort et durable du pétrole, il sera peut-être le plus durement touché. En effet, l'agriculture intensive repose sur l'utilisation d'intrants (engrais chimiques, pesticides) élaborés à partir de l'énergie pétrolière ou issus de l'industrie pétrochimique. Par ailleurs, l'agriculture consomme de grandes quantités de plastiques (serres, mulch, emballages, outils...) et de carburant pour les engins agricoles (et ce même dans des schémas dits non productivistes). Par la combinaison de l'augmentation du prix des engrais et de celui des carburants, deux clefs de la révolution verte sont sérieusement remises en question. En effet, le pétrole peut théoriquement être remplacé par des biocarburants (carburants issus de l'agriculture) ou par des huiles végétales. Le bilan énergétique de ces carburants « verts » est cependant pour le moment trop faible. De plus, les techniques de synthèse en chimie organique pour l'élaboration par exemple de molécules pesticides devraient être revues en l'absence de pétrole. La mutation du modèle agricole actuel vers un système « sans pétrole » sera laborieux. Les pertes de productivité qui pourraient en découler pourraient engendrer des situations de crise alimentaire majeure, voir des famines.

Les conséquences géopolitiques. Il est plus qu’évident que les grandes manœuvres liées au "peak oil" ont déjà commencé. Deux des principaux consommateurs de pétrole au monde mènent une politique de prépositionnement dans les zones pétrolifères. Depuis quelques années, les États-Unis mènent des opérations militaires de manière à occuper une position favorable dans ces zones. Ces opérations remplacent la « diplomatie active » qu'ils menaient auparavant. L'Asie centrale comme le Moyen-Orient sont les principales régions concernées : le Moyen-Orient car il possède les plus importantes réserves prouvées, l'Asie centrale car elle était considérée il y a quelques années comme la région la plus prometteuse. Ainsi, l'Afghanistan est occupé depuis 2001. Plusieurs pays d'Asie centrale et du Caucase accueillent des troupes US ou ont signé des accords de coopération. En 2003, les États-Unis ont envahi l'Irak, qui possède les troisièmes réserves du monde. De plus, il leur donne un droit de regard sur tous les pays environnants .

La Chine qui exportait du pétrole il y a peu, est devenue depuis 1992 importatrice nette, et sa consommation augmente de 15 % l'an depuis 2001. Elle est le deuxième consommateur mondial, et a donc des intérêts vitaux dans les régions productrices : elle a ainsi construit un oléoduc traversant son territoire jusqu'aux portes de l'Asie centrale, et investi de fortes sommes (en puisant dans ses énormes réserves de change ) dans les nouveaux gisements d'Asie centrale, d'Iran et d'Afrique. Elle investit également en Amérique Latine et surtout au Venezuela, rachetant à tour de bras tout ce qui se présente sur le marché. Les germes des grands conflits à venir sont déjà entrain de poindre aujourd’hui et promettent un sombre avenir.

Schoenel - 28/03/2006 -

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